Tu sais un peu quelle heure il est, Maisy ? L'adolescente referma la porte derrière elle, consciente de la leçon de morale qu'elle allait se prendre en pleine face. Néanmoins elle s'en fichait complètement et jouait la carte de la plaisanterie en jetant un coup d'oeil à la pendule au salon.
Bien sûr, il est trois heures et demi, chef ! Elle titubait sur ses talons, s'accrochant au meuble de l'entrée pour retirer ses chaussures sans risquer de se tordre une cheville. La situation n'avait rien de drôle pourtant, elle se surprenait elle-même à rire pour un rien.
Et tu es ivre en plus ? Tu es vraiment inconsciente, ton père et moi nous faisions un sang d'encre ! Elle releva subitement la tête, la bouche en 'o' et faussement désolée.
Veuillez m'excusez votre altesse, je ne savais pas que sa majesté et son époux se souvenaient encore qu'ils avaient des enfants... Elle s'inclina dans une révérence des plus hypocrites haussa les sourcils.
Maisy, arrête ça tout de suite ! Et tu as vu comment tu es habillée ? Tu aurais au moins pu répondre à nos appels au lieu de... au lieu d'aller faire ta pute je ne sais où ! C'était du mépris pur et simple dans son regard. Toute cette situation lui échappait, Ann Hawthorne ne reconnaissait plus sa fille qui autrefois si douce s'était à présent transformée en un démon de la nuit. Maisy sentait bien que ses parents étaient désemparés, elle l'avait toujours su. Et elle en jouait sans retenue pour leur faire payer leur absence, les infidélités connues de son père et la passivité de sa dictatrice de mère.
Maintenant file dans ta chambre et on en reparlera demain, crois-moi. Tu fais honte à cette famille, Maisy Seven Hawthorne ! Le sourire de la jeune blonde n'avait pas disparu malgré la menace, au contraire. Elle s'approcha de sa mère et s'exprima du plus clairement que son état pu le lui permettre :
Tu sais ce qui t'énerve le plus ? C'est que tu peux rien faire. T'aurais beau dire les plus beaux mots du monde que cela ne changerait rien... C'est ça de n'avoir jamais été là, même pour sa propre famille. C'est pas de ma faute si t'as aucune autorité et que t'es une mauvaise mère. C'était enfin sortit et, en réponse quasi-immédiate, Ann gifla sa fille comme jamais auparavant. Elle resta bloquée un moment sur son geste, énervée par un tel manque de respect mais piquée à vif car coupable en fin de compte.
T'as raison, c'était sûrement ce qu'il manquait à cette famille pour voler encore plus en éclat. Je vais me coucher. La jeune femme tourna les talons en portant une main réconfortante à sa joue rougie et endolorie et grimpa les escaliers pour rejoindre sa chambre dans le silence le plus complet.
Monsieur Bindergate nous le savez mieux que personne vous qui avez été son avocat pendant des années, cette femme était complètement sénile ! On ne peut pas se baser sur son testament, ce serait insensé ! Ann Hawthorne écrasa son poing sur le bureau de l'avocat en question, bien décidée à obtenir justice sur cette décision cinglante.
Ann, pour l'amour de Dieu on parle de ma défunte mère ! objecta William, abasourdi par la tournure des évènements.
Monsieur croyez-moi, nous savons que vous ne faites que votre travail... Le maître acquiesça, alignant une pile de dossiers sur son bureau.
...mais êtes-vous sûr qu'il n'y a aucune alternative ? Il se redressa sur sa chaise et lorsque Bindergate réfuta, l'atmosphère se refroidit à nouveau.
Madame Cecila Kara Baker-Hawthorne a été formelle sur ce sujet, sa demeure au Texas reviendra entièrement à sa petite-fille Maisy Seven Hawthorne a sa mort. Ce à quoi elle a joint une lettre d'ordre strictement personnel. L'homme en costume se saisit d'une petite enveloppe qu'il remit à Maisy, encore secouée de cette nouvelle a laquelle elle ne s'attendait pas. Sa grand-mère avait toujours été une femme énigmatique et secrète. Ancien top-modèle de sa génération, elle s'était mariée et avait eu des enfants sans pour autant jamais raccrocher avec le monde du travail et la vie en société. Elle disait toujours ce qu'elle pensait et régnait d'une main ferme sur la famille depuis la mort de son mari. Maisy l'avait toujours admiré, loin d'être comme les mamies gâteaux de ses amies, Granny était bien plus, elle était une alliée de qualité.
Oh s'il vous plait ! Je ne donne pas cher de cette maison si ma fille en est la responsable ! Pensez bien qu'elle finira en refuge ou au mieux en cendres en moins de deux ! En plus Maisy, qu'est-ce que tu ferais d'un vieux ranch au Texas ? Sa mère n'avait pas tort, le Texas ? Elle n'y avait jamais mis un seul pied, préférant les destinations exotiques et paradisiaques. On était loin des chemises à carreaux et des cowboys rentrant leurs vaches dans l'étable avec un lasso ! Pourtant, le peu de foi que ses parents avaient en elle et la confiance aveugle que lui avait donné sa grand-mère lui donnait une rage de vaincre incroyable ! Elle avait envie de montrer qu'elle pouvait réussir loin de ses parents et de leur remarques blessantes. Elle voulait construire sa propre vie sans jamais reproduire les erreurs du passé. Ses doigts se crispèrent sur la petite enveloppe et elle prononça finalement ses premiers et derniers mots :
Où est-ce que je signe ? Pas un seul regard à ses parents, elle écrasa un filet d'encre dans un encadré en bas de page et après une poignée de main cordiale à Maître Bindergate, quitta la pièce sans se retourner.
Et voilà ma petite dame, Raven Creek ! C'est votre adresse ? Eh beh, on s'est pas moqué de vous ! Maisy sauta du taxi, laissant le chauffeur babiller dans accent texan qu'elle avait encore du mal à comprendre puisqu'il était lui-même natif de Greenville. Elle se contentait de lui sourire et de réceptionner ses valises qu'il déchargeait une à une du coffre. Depuis ce fameux jour dans le bureau de l'avocat, elle avait gardé la lettre de sa grand-mère parfaitement cachetée. Elle redoutait de l'ouvrir, comme si quelque chose de précieuse risquait de s'envoler à tout jamais dès le premier craquement du papier.
Vous ne l'ouvrez pas ? Elle tourna la tête vers l'homme-taxi qui la fixait d'un air dubitatif.
Oh, si. Elle s'empara de sa nouvelle clé et déchira le papier dans un crissement-éclair.
- Citation :
- Ma chérie,
Je me souviens lorsque tu étais petite, tu rêvais d'une maison de poupée. Celle-ci n'est pas rose et Barbie n'a jamais vécu dedans, mais elle est à toi. Je sais que tu en feras bon usage, j'ai confiance en toi.
Granny.
PS : le jardinier est cadeau lui aussi, je lui ai d'ailleurs souvent parlé de toi ! je t'avais dis que Granny pensait à tout...
La lettre était écrite à la main, calligraphiée et en caractères roses. Maisy reconnaissait bien là l'extravagance, l'anticonformisme mais la chaleur bien connue de sa grand-mère. Il n'y avait que peu de mots, mais ils signifiaient beaucoup pour la grande blonde qui ne pu réprimer un petit rire amusé en relevant son nez du bout de papier qui sentait la tarte aux pommes maison. Devant elle se dressait une grande demeure plantée sur un jardin étincelant et parfaitement entretenu. Les rosiers bordant l'allée étaient taillés avec une précision infime, Cecilia Hawthorne avait du être très exigeante là-dessus puisqu'il s'agissait de ses fleurs préférées.
Je ne donne pas cher de la peau de ce jardinier ! Le chauffeur était penché par dessus son épaule, d'un sans-gêne inouï et visiblement amusé par la touche finale d'humour. Maisy rabattit la lettre contre sa poitrine et s'exclama alors d'une voix faussement outrée :
Oh je vous en prie, lorsque j'étais plus jeune ma grand-mère avait en tête de me marier avec le gérant du restaurant oriental deux rues plus bas ! Histoire véridique, elle aurait été prête à signer les papiers si sa petite-fille n'eut pas été âgée de 9 ans à cette époque.
Je serais prête à parier que son joli jardinier a autour de la quarantaine, un ventre bedonnant d'avoir bu trop de bière et une barbe grisonnante mal taillée. Le tout dans un marcel autrefois blanc et tâché pour ne rien enlever à son charme à toute épreuve ! Elle éclata de rire, sortit une liasse de billet de son porte-feuille pour payer l'homme et poussa la haie la menant vers sa nouvelle demeure.
Une nouvelle vie commence.
Raven Creek, Texas. Celui qui viendra à bout d'une Hawthorne n'est pas encore né !