behind the scene

« Moi ? Oui j’ai eu une belle vie, enfin je l’ai toujours bien sûre, je fais ce que je veux, ma vieille a de la thune qu'elle se sent obligée de me donner, même si c'est juste pour sa notoriété, je suis heureuse, mais je veux dire, mon enfance a été super, des moments que j’oublierai jamais, oh non, ils sont ancrés dans ma mémoire ! »

« Alors comme ça, tu t’en vas ? » me dit le jeune homme. On était dans ma chambre, un joint et des bagages à faire pour occupations. En effet, je partais demain pour Greenville, endroit dont je ne connaissais rien, si ce n’est ce quartier résidentiel que j’allais habiter, où ma mère m’avait gracieusement offert une superbe maison. Ah ça, claquer de la thune par la fenêtre, elle savait bien le faire. En fait, ma mère était riche, son boulot lui rapportait gros, mais moi, je savais à quel prix, je savais ce qu’elle avait fait pour en arriver là, je savais tout. Je savais aussi que cette immense baraque qu’elle m’avait payé n’était rien d’autre qu’une prison dorée, histoire de m’éloigner d’elle, pour des raisons que moi seule ne connaissait que trop bien. « Oui et c’est mieux comme ça. Je verrai plus la gueule de cette malade qui me sert de génitrice. » « Loan… C’est pas bien de parler comme ça… » Putain. Il allait pas m’énerver, j’allais bader. Je tirais une latte. J’adorais ce mec, peut-être trop, mais j’avais parfois du mal avec son attitude trop bonne envers tout le monde, sa vision idyllique de ce qui nous entoure. Je dois bien avouer que j’étais jalouse de sa capacité à être toujours heureux, parce que pourtant, il en avait vécu lui, des choses… « Oh ça va Estheban, tu sais tout aussi bien que moi ce que j’en pense, comment cette c*nne m’a élevée, ce qu’il s’est passé avec mon père et tout ça! Alors laisse-moi au moins le droit d’en penser ce que je veux. » Je le voyais bien, gêné, ne sachant plus quoi dire. Il faisait les mêmes gestes nerveux à chaque fois, je les connaissais par cœur. Moi-même, je m’en voulais un peu de lui répondre de cette façon à chaque fois qu’il me parlait de mon passé, mais c’était plus fort que moi, je n’arrivais pas à le supporter, à faire un trait dessus, à l’oublier. J’étais faible. Il me hantait.

« Papa, papa ! Regarde ce que j’ai f… » Loan avait dix ans, quand elle découvrit le corps de son père, inanimé dans le salon, seringue enfoncée dans le bras. Ca faisait longtemps qu’il se droguait, mais jamais la gamine n’aurait pensé qu’il serait mort d’une overdose si tôt, la laissant seule, livrée à elle-même. D’ailleurs, elle ne comprit pas tout de suite. Elle ne voulut pas comprendre. Le visage éteint de son père, elle ne pouvait s’en détacher. Il avait pourtant l’air serein. Puis, elle vit sa mère arriver, suivie par un homme, bien plus jeune qu’elle. Encore un autre, pas le même qu’hier soir, ni avant-hier. Elle la haïssait, de tout son être, depuis toujours, cette femme ne s’occupait pas d’elle, trop prise par sa foutue carrière de danseuse-chorégraphe, et ses amants, bien sûre. « Ma…man… Papa il… » « Quoi, quoi papa, tu vas pas déjà me- oh… oh mon dieu… » Elle le vit à son tour. Néanmoins, il y avait quelque chose de bizarre dans son regard, quelque chose que Loan n’arrivait pas à comprendre. Quoi que sur le moment, elle ne comprenait rien. Elle voyait juste son papa, son papounet d’amour, celui qui s’était toujours occupé d’elle, qui l’avait chérie quand sa mère n’était pas là, qui en avait pris soin, sans vie, allongé sur le tapis, les traits détendus, mais inanimé. Avant qu’elle n’ait eu le temps de dire quoi que ça soit, sa mère s’était envolée. Sur le coup, Loan pensa que c’était pour qu’elle ne la voit pas pleurer, mais au fond, elle s’en fichait. Elle tomba à genoux, pleura, toutes les larmes de son corps, pendant longtemps. Elle finit par s’endormir sur la poitrine de son père, désormais trempée de larmes.
Aujourd’hui, elle se dit toujours, « Au moins, papa est mort dans un flash, dans un orgasme. »

« Bon, on arrête de parler de ça s’il te plait, on va bader, et j’aime pas gâcher la pelouse. » Je me retournais, sourit à mon ami. Voyant qu’il ne réagissait pas, je rigolais, lui sautais au cou, pour lui tomber dessus. « Bah quoi, souris, toi qui sait si bien le faire ! » Je tirais une autre latte, puis lui posais le stick entre les lèvres, et lui offrait mon plus beau sourire. Il allait me manquer, plus que tout. Ma meilleure amie, Imogen, partait avec moi en quelque sorte, mais Estheban, lui, même s’il n’avait pas vraiment d’attache à Los Angeles, n’avait jamais parlé de partir. Et je le comprenais. Nous terminâmes la journée tranquillement, posés dans ma chambre, avec le matos, comme on savait si bien le faire.
Je sortis de mon immense maison de LA. Bien évidemment, ma mère n’était pas là pour me dire au revoir, et c’était mieux ainsi, moins je la voyais, mieux je me portais. La quitter est sûrement la chose qui me faisait le plus plaisir. Je descendais les marches, saluais le chauffeur venu m’amener à l’aéroport. Je me retournais une dernière fois, voyait ce que je laissais derrière moi ; ma maison, mes amis, même s’ils n’étaient pas si nombreux, ma ville. Il prit mes bagages, les mis dans le coffre, m’ouvrit la portière arrière. Je montais, un léger pincement au cœur, mais une énergie nouvelle. La perspective de recommencer me plaisait. Je fermais les yeux, inspirais. Au moment où nous allions démarrer, j’entendis ma portière s’ouvrir violemment. Et quelle ne fut pas me surprise, quand je vis la tête d’Estheban, essoufflé, juste devant la mienne! « Oh! Tu comptais vraiment partir sans moi?! » « Hein ? Mais je… T’as ta vie à LA! Et le 'commerce'?! » « Pour mes thunes t'inquiètes, tout le monde en veut partout! Et je te rappelle que toi aussi t'as une vie ici, tu choisies peut être de l'abandonner, mais la mienne, elle se fera pas sans toi! » Je dois bien avouer, que ça me fit plaisir, énormément. J’envisageais mal de perdre Estheban, ma moitié, mon frère, et le voir arriver en courant avec sa guitare me mit de si bonne humeur ! « Allez, en voiture, on se casse ! Tchuss LA, salut Greenville ! »